La Gazette de Houte-si-Plou

Juin 1997 - Numéro 2. Bimestriel. Ne paraît pas en juillet et août.
Périodique de l'Université de Houte-si-Plou, ASBL.

Editorial

«Chaque abaissement moral du pouvoir politique se paie d'une avancée politique des autorités religieuses, et d'une nouvelle arrogance des féodalités de l'argent.» Tel fut le constat de Régis Debray à la fin des années '80, à l'occasion d'un article publié dans le quotidien français Le Monde. Dix ans plus tard, nous ne pouvons que constater la véracité de ces propos, confirmant dès lors l'effroyable vérité que nous sommes tentés de ne pas admettre: si notre société est en danger, si le danger est immédiat, il me semble que le lent travail de sape des composantes des problèmes de société nous préoccupant est le fruit d'une lente métamorphose de notre paysage (a)social. Dont peu se sont réellement rendus compte. Bien que la latence des événements choquants qui se produisent quotidiennement nous ait trompés, c'est avec notre assentiment muet que se sont installées les dégradations morales que nous tendons à réprouver. Une crise profonde d'identité se fait ressentir, nous avons oublié qui nous sommes, ayant voulu masquer trop longtemps les écueils dont nous avions peur. Dormeurs, rêveurs, nous avons vécu nos rêves inconscients les yeux ouverts. Je ne le reproche à personne, cela étant le propre de l'être humain. Mais si, de temps en temps, le dormeur ne jette pas un coup d'oeil circonspect sur la situation qui s'est développée autour de lui durant ses doux songes, il risque de se réveiller en plein cauchemar, découvrant avec horreur que de sa douce candeur certains ont abusé avec froideur. Dès lors, certains vont prendre des tranquillisants, fuir dans d'aussi artificiels qu'inutiles paradis, tandis que d'autres fuiront de l'avant et tenteront d'inverser la situation, voulant imposer la pureté absolue et tombant par là-même dans les mêmes travers que leurs adversaires, espérant faire malgré eux le bonheur de leurs dormeurs.
Cyril Briquet

Le mot du président

La 2ème année académique vient de s'achever. Déjà, deux années de conférences! Nous avons prêté notre tribune à des conférenciers de haut niveau. Ils ont passionné, irrité, intéressé, choqué, surpris,... C'est ce que nous voulions en installant un espace de réflexion démocratique: permettre un débat contradictoire sur des idées et des positions divergentes, voire antagoniques. Ecouter, comprendre, s'informer, poser des questions, donner son avis sur des sujets d'actualité. A coup sûr, c'est la démocratie qui gagne!

Les articles

Démocratie: Danger Immédiat! Sommes-nous responsables?

Le thème de cette année académique a fait l'objet de quatre conférences animées, chaque fois, par un panel «participants», personnes assistant régulièrement aux conférences de l'Université, un panel «spécialistes», personnes ayant approfondi le sujet traité, journalistes pour la plupart, et un panel «personnes ressources», c'est-à-dire des femmes et des hommes qui ont un vécu à transmettre.
Henry LISMONDE, Recteur

1. Vivre et mourir au risque des Médias (10/12/1996)
On parle beaucoup du risque des médias aujourd'hui. Du risque de briser la vie de couple. Du risque de briser la vie de famille. Du risque de déformer l'enfant. Du risque, aussi, de banaliser la mort. C'est qu'en effet nous baignons quotidiennement dans les images de mort à travers les médias. Une mort qui apparaît souvent comme «extraordinaire», lointaine, abstraite, tandis que les fins «ordinaires» se déroulent souvent dans le silence de lieux clos: «Cachez cette mort que je ne saurais voir ...». Pour illustrer tout cela, l'exposé proposa trois pistes de réflexion: autour de la télévision, autour des faits divers et autour de la mort. Il invita aussi à réconcilier relations «médiates» et relations «immédiates» et à parler de la mort «tant qu'il fait beau». Mais pour cela, ne faut-il pas casser le cercle infernal de toutes les duretés et consentir enfin à sa fragilité?
Gabriel RINGLET, Vice-recteur de l'Université Catholique de Louvain

2. Les Mafias, de Brooklyn à Moscou. Et chez nous? (17/01/1997)
La mouvance mafieuse a pénétré certains milieux belges. Chez nous, il vaut mieux parler de criminalité organisée, eurasienne, plutôt que d'utiliser le terme «mafia». «Elle représente une série d'infractions variées de caractère grave: blanchiment d'argent, trafic d'armes, vente de drogues, prostitution, . . . Motivée par le profit ou le pouvoir, ses activités sont perpétrées par deux personnes au minimum agissant ensemble durant une période de temps assez longue. Elle suppose, en outre, qu'il y ait répartition du travail et usage de structures commerciales, et cela tout en ayant recours à la violence (ou tout autre moyen d'intimidation), ou en exerçant de l'influence sur la vie politique, les médias, l'administration publique, la justice ou la vie économique.» Parlons donc de criminalité eurasienne, si l'épicentre est Moscou. Les gens qui commettent les délits ont des visas israéliens, biélorusses, russes, ukrainiens, lituaniens, suisses, belges, allemands, américains, colombiens,... Nous sommes très loin d'une réalité qui soit strictement russe au sens administratif du terme , même si les langues véhiculaires, même si, dans l'âme, ces gens, se sentent, au moins, proches de Moscou.
Il importe de réintroduire une éthique face à cette criminalité.
Alain LALLEMAND, Journaliste au quotidien «Le Soir»

3. L'économie mondiale dérape: le chômage est-il une fatalité? (28/02/1997)
Le chômage généralisé et l'insécurité de l'emploi dont souffrent les économies les plus industrialisées ne sont ni inévitables ni irréversibles. Il incombe aux pays du G7 de mener la lutte contre le chômage à l'échelle mondiale. C'est dans ce cadre qu'il importe d'adapter des politiques sociales à la mondialisation de l'économie. Un nouveau pacte social qui concilie les impératifs du marché et les droits légitimes des travailleurs à la sécurité sociale doit se dégager. Actuellement, parler d'un modèle social européen reste approximatif puisque de fortes divergences existent entre les différents pays d'Europe. Il convient aussi de ne pas idéaliser ce modèle qui est lié à trois réalités:

  • un système de relations professionnelles basé sur une pratique de négociations collectives entre employeurs et travailleurs;
  • un Etat-providence impliquant un régime élaboré de sécurité sociale, voire un revenu minimum garanti mais aussi des garanties importantes en matière de travail;
  • une pratique de politique keynésienne (1) avec une plus ou moins grande implication des interlocuteurs sociaux.

Ce modèle est aujourd'hui en crise car ces trois éléments ont été progressivement battus en brèche.
Michel HANSENNE, Ancien Ministre, Directeur général du Bureau International du Travail

(1) Keynes est un économiste du milieu de ce siècle connu pour les concepts qu'il a développés: politique de développement de la production et de l'emploi par intervention, contrôle des investissements,...

4. Les Affaires sont vos affaires (25/04/1997)
Les médias précisent, au quotidien, notre insécurité économique et sociale et la désacralisation de la vie, notamment celle des enfants. Dans le même temps, des responsables politiques, décideurs au plus haut niveau, sont interpellés par la Justice. La corruption devient souvent la règle; elle constitue pourtant un déni de démocratie. D'autre part, le monde judiciaire s'est particratisé et a montré une très large incompétence. Nous sommes entrés dans la société du mépris. Notre pays traverse deux crises. Une crise structurelle: nous n'avons plus les élites qui ont fait la Belgique. Une crise conjoncturelle: l'inefficacité d'un certain nombre de responsables. Citoyens, réveillez-vous!
Jean BEAUFAYS, Politologue, Professeur à la Faculté de Droit de l'ULg

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