La légende du meunier
L'Université de Houte-si-Plou, un endroit légendaire
C'est en 1559 que le moulin de « Hoûte-s'i-Ploût » est édifié dans un vallon situé sur le territoire de la seigneurie d'Esneux, aux confins de la Principauté de Liège et du Duché de Limbourg. L'appellation pittoresque donnée à cet établissement et au petit hameau qui lui est proche apparaît au début du XVIIe siècle: l'expression imagée, que l'on retrouve dans la toponymie française sous la forme « Ecoute s'il pleut », désigne un moulin alimenté par des eaux dont le débit intermittent dépend essentiellement des conditions météorologiques. Une tradition locale rapporte d'ailleurs que le meunier veillait souvent très tard dans l'attente d'une pluie bienveillante. Lorsque, fatigué, il se décidait à se coucher, il ne manquait pas de demander à son fils ou à sa femme de veiller à leur tour: « hoût s'i ploût », leur disait-il. La fantaisie populaire y a substitué une formule dérivée « hout s'i ploût », c'est-à-dire « à l'abri s'il pleut ». La vogue de ce lieu-dit est très ancienne comme en témoigne l'opéra « Li fièsse di Hoût si Ploût » écrit en 1757 par Hamal et Vivario et joué pour la première fois le 8 décembre 1757 dans les salons de l'Hôtel de Ville de Liège.
Un certain Martin, meunier installé à Esneux, fut le premier propriétaire du « Moulin d'Hoût-s'i-Ploût »: il devait au comte d'Esneux, Guillaume II d'Argenteau, un demi-setier de « mouture » (farine) par semaine, auquel s'ajoutait un écu d'or par an. Pour l'usage du moulin du Ry d'Oneux que Martin possédait par ailleurs sur un petit affluent de l'Ourthe situé en amont d'Esneux, le meunier devait deux setiers d'avoine et de quoi nourrir un des chiens de chasse du comte. En 1559, année de la construction du moulin, nos régions n'en étaient plus à l'époque où les châtelains et les garnisons de guerriers campées dans leurs repaires pillaient sans vergogne le peuple désarmé « en vivant sur le pays, le saignant , forçant les paysans, libres ou non, à produire toujours davantage... » (G. Duby).
On n'en était plus non plus au temps où les Princes-Evêques de Liège s'efforçaient de réprimer les actes de brigandage de Gilbert de Duras, premier seigneur connu d'Esneux (fin du XIe - début du XIIe siècle).
Mais les seigneurs laïques et ecclésiastiques s'accrochaient toujours à leurs privilèges fonciers et juridiques: cours de justice scabinales et féodales, amendes, droits de pêche et de chasse, droit d'alluvions, dîmes, droits sur les cours d'eau, corvées et banalités (moulin, brasserie, four) souvent remplacés à l'époque moderne par des redevances . . .
L'avènement des régimes politiques sociaux contemporains mettra un terme à certaines de ces disparités et contribuera à soulager la condition souvent précaire des habitants de nos régions sous l'Ancien Régime.
Alain-Gérard Krupa