Juin 2008 - Numéro 50. Bimestriel. Ne paraît pas en juillet et août.
Périodique de l'Université de Houte-si-Plou, ASBL.
Beaucoup considèrent, comme Alain KRIVINE, un des ténors de Mai 68, que celui-ci ne fut pas une révolution. Le mouvement a été énorme, gigantesque, mais lorsqu'il s'est agi , après avoir élevé des barricades, jeté des centaines de milliers de jeunes et d'ouvriers dans la rue et fait trembler (s'est peu dire) le monde politique, en France, de savoir qui allait prendre le pouvoir...personne n'en voulait ! On manifestait, joyeusement, violemment parfois, on lançait des slogans, on défilait, on réclamait. Mais on ne réclamait pas le pouvoir ! Alors, si ce n'était pas une révolution, c'était quoi ? Un ras-le-bol généralisé contre le capitalisme et la société, une soif de liberté, d'individualisme, une volonté diffuse de briser les carcans. L'aspiration à autre chose, une grande bouffée d'air frais. Un déclic dans le changement des mentalités. Une prise de conscience que les choses pouvaient changer, que l'ordre établi ne l'était peut-être pas tant que ça. Il était possible de remettre en question l'organisation de la société, la condition de la femme, et même découvrir que la culture pouvait prendre des chemins de traverse et ne plus être corsetée dans des genres bien définis. L'homme (surtout les étudiants dans un premier temps) s'est aperçu qu'il pouvait revendiquer pour changer son statut social, pour améliorer ses conditions de vie, pour dire...ce qu'il avait à dire. Bien sûr, tout ça ne s'est pas produit exclusivement dans le courant du mois de mai 68. Mai 68 a servi de déclencheur et a permis d'accélérer la prise de conscience par rapport à certaines avancées qui auraient eu lieu de toute façon. D'ailleurs, peu de choses avaient réellement changé dans les mois qui ont suivi. Sauf des augmentations salariales pour les ouvriers. Augmentations vite dévorées par l'inflation ! Mais les idées étaient lancées et ont grandi dans les années suivantes. Débattons-en avec nos intervenants. Avant de clôturer cette année académique, une petite question pour les vacances : un « mai 68 » est-il encore envisageable de nos jours, une explosion qui remettrait en débat tout ce qui ne va pas ? Vous pensez tout de même que ça a fait avancer les choses? En termes concrets, le Front populaire en 36 a bien plus apporté. Le seul vrai résultat, c'est que la présence syndicale a été renforcée. Pour le reste, oui, il y a eu de fortes augmentations de salaires, mais elles ont été bouffées par l'inflation. Ce qu'on gardera surtout, ce sont des souvenirs extraordinaires d'une période où les gens apparaissaient sous un autre jour. Tout le monde devenait artiste, poète. On parlait à son voisin à qui on n'avait jamais adressé la parole en dix ans. On restait dans la rue jusqu'à 2h du mat pour discuter. Et puis, surtout, on gardera de Mai 68 l'idée qu'on peut se révolter dans un pays où tout le monde disait que c'était impossible. Ce genre de truc, c'était bon pour l'Afrique ou l'Inde, pas en France... Et les avancées sociales? Disons que Mai 68a contribué à accélérer la prise de conscience par rapport à certaines avancées qui auraient eu lieu de toute façon. C'est le cas pour l'écologie ou la condition de la femme, qui par ailleurs ne sont pas nés directement avec Mai 68. Les mouvements féministes, par exemple, sont arrivés deux ans plus tard. Avez-vous l'impression qu'un autre Mai 68 est encore envisageable aujourd'hui? Bien sûr que oui. Parce que nous avons plus de raisons de nous révolter qu'il y a 40 ans! Tout ce qu'on a gagné à l'époque, nous l'avons perdu. Il y avait 400000 chômeurs en France, il y en a 2 millions aujourd'hui. Les conditions de travail sont pires, la privatisation envahit tout. Aujourd'hui, ça tape très dur au niveau des acquis sociaux. Et puis il y a la crise du logement, le climat... Tout est là, fois deux. Évidemment, les conditions ont changé, il faut actualiser. Alors, le grand soir, c'est pour quand? Il faut les conditions qui le permettent. Mais j'espère qu'il viendra. Quant à dire quand, vous savez, en 67, on ne savait pas qu'on allait vivre ça. Deux semaines avant les barricades, le journal Le Monde avait titré «La France s'ennuie». Alors... Et si le feu se ravivait, quel serait le slogan? Je pense qu'on pourrait reprendre «Sous les pavés, la plage». C'est ça l'esprit: trouver la liberté en luttant avec des pavés ou autre chose.
Robert Briquet, Président